Voix du Monde

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Les Ait Atta, derniers nomades du Maroc

Ils sont peu connus au Maroc, pourtant les Aït Atta symbolisent une époque quasi révolue de l’histoire du pays, celle du nomadisme. Quelques familles vivent encore selon la tradition dans les montagnes désertiques du Djebel Saghro, dans le prolongement de l’Anti-Atlas au sud du Maroc. Galerie photos en bas de page.



Pour les rejoindre, il faut marcher plusieurs jours dans ce massif montagneux aride, qui fut le dernier bastion de résistance face à la colonisation française (voir encadré 2). Les Aït Atta avaient la réputation d’être de vaillants guerriers, aujourd’hui, ce sont de simples bergers. Difficile de les rencontrer par hasard, il faut être emmené par un guide : Brahim est le fils d’une des familles qui sillonnent les sommets du Djebel Saghro.

Environ deux fois par année, ce jeune homme de 23 ans emmène des touristes chez ses parents. La pente escarpée est jonchée de pierres volcaniques rouges et noires, un paysage lunaire ponctué d’oasis vertes au fond des vallées : ce sont les villages berbères irrigués par des canaux de fortune, creusés dans le sol rougeâtre. Sur les plus hauts sommets, on retrouve la trace des nomades. « Regardez ces pierres, commente Brahim, elles ont été emboîtées pour former des enclos. Ces murets délimitent nos lieux de vies. Nous prenons le thé dans ce petit cercle. Dans les plus grands, nous gardons les chèvres et les moutons. » Le lieu est désertique, pas un seul grain d’herbe, ni une goutte d’eau, les ruisseaux coulent en bas… beaucoup plus bas.

La famille de Brahim se trouve depuis deux semaines sur une autre montagne à flan des rochers à 2000 mètres d’altitude. Elle a choisi cet emplacement abrité pour se protéger du froid. La tente tissée par les femmes avec des poils de chameaux et de chèvres se dresse à côté des enclos de pierres et d’une grotte… emménagée en cuisine. Les femmes s’affairent autour d’un feu, accroupies sous la voûte noircie par la fumée.

Arrivée au campement
Pas de grandes effusions pour accueillir Brahim, mais le traditionnel thé à la menthe, avec des galettes de pain chaudes que l’on trempe dans de l’huile d’olive. On parle de la sécheresse, du mouton perdu la semaine dernière, de la santé déficiente du patriarche.

Le feu crépite… Les femmes préparent le repas du soir. Tous les jours les mêmes plats : de la soupe fortement assaisonnée au cumin et le traditionnel couscous agrémenté de betteraves séchées, seuls légumes disponibles. Les dattes jouent également un rôle essentiel dans l’alimentation, comme dans le désert. Elles s’achètent par kilos et peuvent se conserver durant 20 ans !

De gros bidons remplis d’eau jonchent le sol de la grotte. Deux fois par jour, les femmes marchent une demi-heure jusqu’au ruisseau pour récolter le précieux liquide. « Ce n’est pas beaucoup, sourit Brahim. Parfois, il faut deux heures avant d’accéder à une source. L’hiver, c’est plus dur encore ! Certains ruisseaux sont gelés et nous devons briser la glace pour nous approvisionner. »

Le campement est pratiquement vide durant la journée. Le père de Brahim, sa belle-sœur et ses frères partent tôt le matin et reviennent à la tombée de la nuit. Ils parcourent d’énormes distances avec leur troupeau respectif pour trouver quelques brins de végétation. Le soir, les enfants vont arracher de petits buissons épineux pour compléter l’alimentation des chameaux. Ils ont les mains craquelées et noires de terre ; l’eau, le froid et le soleil creusent des sillons dans leur peau encore fragile. Peu à peu, ils s’habitueront à la rudesse de la vie nomade.

Un mode de vie en perdition
Dans la famille de Brahim, seuls deux garçons ont été envoyés au village pour aller à l’école. Les autres sont restés avec leurs parents pour apprendre le métier de berger et «perpétuer la tradition ». Mais pour combien de temps ?

La sécheresse qui sévit depuis plus de six ans dans la région risque de sonner le glas de la vie nomade. De nombreuses familles vendent leur bétail pour s’installer dans les villages des vallées. « On ne trouve plus assez à manger pour nos bêtes, explique le père de Brahim. Quand j’étais jeune, l’eau était beaucoup plus abondante, la vie était plus facile. Pour se rendre au souk, on marchait pendant une semaine. On y vendait des chèvres et en échange, on achetait des dattes, de la semoule de couscous ou de la farine. »

Aujourd’hui, la civilisation s’est rapprochée, il ne faut plus que deux jours pour trouver un marché. Mais le cheptel des Aït Atta a perdu beaucoup de valeur. Les chèvres sont devenues trop maigres et ne font plus de lait. « Avant, on les vendait 80 dirhams (le prix de 4 couscous au restaurant). Aujourd’hui, à cause de la sécheresse, leur prix est descendu à 15 dirhams», raconte le jeune guide. Un drame pour ce peuple de bergers qui perd ainsi son unique capital, sa seule fortune.

Transhumances
La famille de Brahim a toutefois un autre atout : un fils engagé dans l’armée marocaine. Son maigre salaire permet de faire vivre les 18 membres du clan. Les quelques touristes qui séjournent chaque année auprès d’eux apportent aussi une manne financière bienvenue.

Certains voyageurs ont l’occasion de suivre la transhumance des Aït Atta. Chaque année en juin, plusieurs groupes quittent le massif du Djebel Saghro pour rejoindre les montagnes du Haut Atlas. Trois semaines de marche afin d’atteindre des pâturages plus fertiles, à plus de 3000 mètres d’altitude. En échange, les nomades invitent les bergers des villages sur leurs montagnes, plus clémentes en hiver.

Au XIIIè siècle, les Aït Atta se sont unis en confédération afin de lutter contre les envahisseurs de tous bords. Aujourd’hui, toujours associés, ils tentent de préserver leur mode de vie ancestral. Mais ce peuple aux liens de sang très puissants semble ne plus résister au nouveau danger qui le guette : le réchauffement de la planète.


Valérie Kernen


 Maroc | 2002